20 janvier 2007

Hey, Popée !

Tandis que la pluie faisait résonner ses lourdes semelles mélancoliques sur notre toit pédagogique, la bataille s'était invitée dans les coeurs secs d'enseignants en pause méridienne. "Enfin une victoire à notre portée !" se disaient les trois cocos abreuvés de café facile, me reluctant comme une copie mal corrigée.


Il suffisait de regarder leurs yeux hirsutes de non syndiqués pour comprendre qu'eux -mêmes ou que d'improbables aïeux à eux s'étaient un jour, il y a bien longtemps, déplacés dans la savane jurassique, en suçant des os de gnou, à quatre pattes et sans Dieu.

L'une d'eux distribua les cartes comme autant de coups de semonce. L'enjeu était élevé et les appariements claniques, basés sur l'instinct animal, commencèrent. On se reniflait. Je compris très vite que cette danse des mots et des regards les rapprochaient et m'excluaient d'autant de la fièvre tribale dont j'aurais peut-être à souffrir incessament.

-- Petite ! osa l'un, dépassé par son ambition.

La faiblesse des contrats qu'ils proposaient en bons fonctionnaires eût fait naître le rire en moi si je ne n'avais pas senti confusément qu'il y avait là un beau coup à jouer. Je réunis tout le courage professionnel dont je disposais encore après mes deux heures de 4°6 et lançai une proposition orbitale qui les convainquit de ma détermination à jouer le tout pour le tout car moi chuis com'ça. Faut pas m'chercher des crosses.

-- Garde sans ! tempêtai-je.

Déflagrante stupéfaction chez les Camif. Interdits qu'ils étaient de me voir siffler la fin de la récréation. C'est pas pour m'mettre en avant mais jamais silence ne fut si vite et si bien conquis autour d'une table de tripot.

Les trois collègues comprirent, en se regardant de biais, qu'ils n'auraient, à partir de maintenant, qu'à subir la dure loi du destin. Ils transpirèrent quelques réactions touchantes de fierté convalescente:

-- Quoi ! Garde sans ? Mais il est fou !
-- Laisse tomber ! Il la fera jamais !
-- On va l' manger !

Profitant de l'effet de surprise, je jetai un regard rapide aux cartes que la Providence m'avait confiées. Je les examinai, en fait, pour la toute première fois.
Mouais.
Ca allait être difficile car ils avaient endormi toutes les bonnes cartes. Mais je n'étais pas sans atout.
Et mon toutou était là, de remuer la queue, mais pas moyen -par contrat- de l'caresser. J'avais failli être son maître, je n'étais que son parrain inquiet de le voir réussir sa vie, loin de moi. "T'inquiète pas Sultan, murmurai-je dans ses poils, j'te promets une belle patée à la fin". J'aurais presque juré l'entendre aboyer de joie. Il m'avait compris.
Les autres avaient-ils entendu ? En tout cas, l'aréopage Mgen grogna:

-- Bon, céaki d'commencer ?
-- Du rythme bon sang ! Du rythme !

T'inquiète. Le rythme, j'm'en occupe, pensai-je en classant mes cartes aux doigts de rose. Non pas une écurie flamboyante que j'avais entre les mains. Plutôt de bons vieux canassons à l'aise sur terrain lourd, toujours prêts à créer la surprise, à fendre l'adversité. Nous engageâmes le jeu dans un climat de guérilla, les quolibets sortaient des bazookas par rafales imprudentes et n'épargnaient personne.

Certes, le début du jeu ne tourna pas à mon avantage. Les cartes de poids n'étaient pas chez moi et je subis tout d'abord leur puissance de feu. Toutefois, leur panache se tarit bien vite. Après quelques plis qu'ils durent plus à mère Fortune qu'à papa Talent commença la vraie bataille, de celles qui décident de l'issue des guerres.

J'enchaînai alors les plis jusqu'au dernier, impérial. Ma réussite fut humiliante. J'étais arrivé au pays du bonheur triomphant. Leurs mines déconfites me servaient désormais de bannière, il ne me restait plus qu'à me trouver un hymne. Ce fut le décompte des points:

-- 36, 38, 39, 42. Tu la fais de 1 point ! admit Chemato d'une voix d'outre-tombe.
-- Pffffffffff ! borborygma Sécotine, incrédule et choquée.

La sonnerie retentit et les susdits certifiés s'évanouirent dans le couloir, aspirés par leur devoir professionnel, avec pour tout bagage la saveur d'une brève communion avec le néant.

Moi, je crois que j'ai repris un café au lait concentré sucré.
Il était bon.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Keski, tu es mégalo au dernier stade...remarque, tu n'as pas écrit au sujet de la partie d'avant (la semaine précédente) ou malgré plusieurs gardes avec clébards, tu as bien, bien, perdu...On se souvient toujours du café sucré de la victoire? ET celui amer de la défaire?

chemato a dit…

le seul vrai talent ici est littéraire. Quant au reste, il y eut dans cette affaire, beaucoup de chance et si peu de tactique.

En tout cas, quand je pense que le fameux keski, après une récente partie de badminton, me disait, la main sur le coeur, "t'es un brother pour la vie" et cela après lui avoir acheté un paquet de pim's à 2 euros 45, je me sens trahi, bafoué, moqué dans ce récit approximatif et humiliant pour ses partenaires.

Anonyme a dit…

tout à fait d'accord chem' et puis je connais notre keski et sa tendance psychotique à vouloir absolument éliminer quelqu'un dès qu'il perd au jeu; alors pour sauver un de ses élèves qui malheureusement aurait pu être une de ses innocentes victimes, je l'ai laissé gagner en sacrifiant mon roi de coeur, car du coeur j'en avais, ça oui!!... et j'en ai toujours.

Baba a dit…

finalement le jungle speed c'était mieux... il y avait moins d'hostilité!