16 novembre 2007

Histoire d'un piège



J’ai donc été pris au piège subtil tendu par quelques-uns, pas très nombreux et que je pense indentifier clairement (…) Le piège est quasi imparable pour un préfet. A la légitime ambition, exprimée clairement, d’être nommé préfet de région, on a su ajouter l’affirmation des éminentes qualités professionnelles et personnelles qui justifient un choix aussi unanime que réfléchi, dixit Debré, du gouvernement.

Mes qualités sont donc si grandes que me voilà l’homme indispensable pour la Corse. Que répondre, sauf à courir le risque bien réel d’une disgrâce, d’une mise hors cadre ou d’une stagnation. Aucun argument légitimement avancé face à cette “mission de grande confiance, témoignage éclatant etc”. Et en plus, c’est sans doute vrai.

Si j’ai plus tard, l’occasion de régler ces comptes, il ne faudra pas oublier le faire…

Il faut donc y aller et gérer dans la hâte tous les problèmes personnels, si nombreux, que nous pose cette nomination, vis à vis des familles, de nos projets en Lozère, de nos moyens qui vont être bien ajustés. Mais ce n’est pas - et de loin - l’essentiel.

Le seul problème sérieux est que j’ai clairement conscience de partir vers une mission impossible, faite de contradictions éclatantes entre le discours public du gouvernement, les négociations plus ou moins secrètes, les intentions réelles des uns et des autres…

Officiellement, ma mission est triple: rétablir l’autorité de l’Etat, contribuer au dialogue républicain, faire avancer les dossiers économiques, sociaux et culturels.

Mais quels sont les moyens? Un préfet ne saurait véritablement actionner les machines judiciaire et policière - pour la police ,un peu sans doute, mais ce n’est pas ma tasse de thé - Cela dit, je vais m’y efforcer. Le problème est qu’il faut aussi veiller à ne pas contrarier le processus “politique” en cours avec la trêve acquise pour trois mois, attendue pour six mois supplémentaires.

En un mot, c’est le grand écart… avec les redoutables conséquences que l’on devine.

Pour les dossiers, j’ai l’impression que la volonté politique est bien hésitante. On peut le comprendre à voir les sommes déversées sur la Corse. Comment répondre à beaucoup à Paris de dire que cela suffit…Mais alors comment répondre aux attentes si impatientes de socio-professionnels de tout poil abreuvés, semble-t-il, ces derniers mois en particulier, de bonnes paroles et de semi-promesses.

En définitive, c’est cela qui me soucie le plus car je crains beaucoup cet exercice de faux-semblant.

Voilà bien vite résumées mes préoccupations du moment. je ne veux pas les exprimer trop publiquement afin de ne pas démoraliser Dominique, qui fait admirablement contre mauvaise fortune bon coeur.

Et j’ai toujours préféré “faire envie que pitié” et je tiens à partir de Versailles - ce poste somptueux que je n’ai jamais aimé - en faisant valoir l’évidente marque de confiance du président de la République et du gouvernement.

Nous partons donc.

Je m’accroche à l’idée que cela peut être pour 18 mois seulement, moyenne approximative de mes prédécesseurs. Et je vais m’efforcer de tenir chronique régulière de cette aventure, mission impossible pour la première fois de ma vie professionnelle”.

Ecrit par le préfet des Yvelines, Claude Erignac, juste après avoir appris sa nomination comme préfet de la région Corse. Février 1996.


3 commentaires:

chemato a dit…

Emouvant...
Entre prof en ZEP et préfet en Corse, j'hésite encore.

Anonyme a dit…

Tu ne dors pas à 1heure du matin, chemato? Tu devrais m'appeler ou Patate...Mais toi, tu n'as pas d'enfants qui toussent...
Pour la lettre,c'est assez curieux de lire cela après coup. 18 mois maximum, il espérait...

Anonyme a dit…

j'me sens un peu en ce moment comme le préfet Erignac.
Comme si ça ne suffisait pas pendant la semaine, nouveau regroupement d'élèves devant le collège
( j'essayais de faire une sieste pendant que mes enfants sont aux ciné avec leur père), regroupement pendant lequel manifestement certains essayaient de se battre ( j'ai cru entendre "Viens tape-moi") et d'autres disaient ( enfin je crois car j'étais à moitié endormie) qu'ils allaient venir m'appeller. MERDE, MERDE et MERDE, je ne suis pas leur mère. J'ai failli tout de même sortir de chez moi la gueule enfarinée et puis ils sont partis...
Samedi 16h15 (vivement la mut')